Le cumul des amendes administratives peut vous coûter très cher

  

Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel n°2021-984 du 25 mars 2022

 

Comment l’amende administrative encourue pour une pratique commerciale jugée par l’administration non conforme à la loi est-elle calculée ? Est-elle appliquée une seule fois pour condamner la pratique en cause constitutive d’un seul manquement ou la répétition d’une même pratique illégale constitue-t-elle plusieurs manquements passibles de plusieurs amendes ?

La réponse à une telle question est d’une grande importance car elle peut substantiellement modifier le risque encouru par une entreprise de se voir sanctionnée pour une pratique commerciale mise en œuvre en violation de la loi, au détriment de la protection d’un marché ou des consommateurs. Dans le premier cas, l’entreprise ne peut se voir sanctionner au-delà du plafond légal de l’amende, dans le second cas, le plafond pourra être dépassé sans limite par l’effet du cumul des amendes prononcées pour chaque infraction constatée de même nature.

 

Le Conseil constitutionnel a récemment validé, dans une décision n°2021-984 du 25 mars 2022, la nouvelle position de l’administration qui calcule le montant de l’amende encourue pour une pratique non conforme en multipliant le montant de l’amende par le nombre d’infractions répétées de même nature.

L’amende dont il était en question en l’espèce est la sanction prévue à l’article L441-6 du code de commerce (anciennement à l’article L. 441-7-I), d’un montant maximum de 375.000 euros, que l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut prononcer à l’encontre d’une entreprise lorsqu’il ne peut être justifié de la conclusion, dans les délais prévus, d’une « convention écrite » entre un fournisseur et un distributeur indiquant les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale.

L’administration avait condamné une centrale d’achats à une amende d’un montant de 6.340.000 euros, soit bien au-delà du plafond de 375.000 euros, pour le non respect du formalisme de cette « convention écrite » en multipliant l’amende par le nombre de conventions conclues hors délai ou sans mention de l’ensemble des obligations des parties. L’administration considérait que des infractions de même nature répétées constituaient non pas un seul manquement mais plusieurs manquements et qu’il était possible d’appliquer cumulativement l’amende par manquement sans appliquer au cumul d’amendes le plafond de 375.000 euros. A cette fin, l’administration invoquait les dispositions de l’article L470-2.VII du code de commerce ainsi rédigé : « lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement ». Appelé à se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par le Conseil d’Etat (CE, 29 déc. 2021, n° 457203) concernant la conformité à la Constitution de cet article du code de commerce, le Conseil constitutionnel déclare ce texte conforme à la Constitution. Il rejette les arguments de la centrale d’achats sur la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines, du principe de légalité des délits et des peines et du principe non bis in idem.

  • Conséquence : l’administration peut appliquer autant de fois une amende administrative qu’elle constate d’infractions répétées de même nature, constitutives d’une même pratique commerciale de violation de la loi, sans limite de plafond.

L’administration peut par exemple multiplier l’amende de 375.000 euros (article L441-6 du code de commerce) : 

. par contrat de fabrication conclu entre un fabricant de produits manufacturés et un acheteur de ces produits à intégrer dans sa propre production, à défaut de mention dans ce contrat des dispositions prévues par la loi (article L441-5 du code de commerce) ;

. par contrat conclu entre un fournisseur et un acheteur de produits agricoles ou alimentaires ne contenant pas de clause de renégociation des prix conformément aux dispositions de la loi (article L441-8 du code de commerce).

L’administration pourrait également en théorie multiplier l’amende de deux millions d’euros applicable au non respect des délais de paiement légaux par le nombre de factures payées en retard (article L441-16 du code de commerce), sous réserve toutefois du respect du principe de la proportionnalité de la sanction.

Cette nouvelle approche sera probablement adoptée par l’administration pour l’application des diverses amendes prévues par le code de la consommation en cas, par exemple, de violation de la réglementation sur les clauses abusives, sur les garanties commerciales, sur les contrats à distance pour chaque contrat conclu avec un consommateur sur un site internet lors de la période contrôlée par l’administration. L’amende administrative applicable pour la mention dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur d’une clause abusive, de clauses imprécises sur l’articulation de la garantie commerciale avec une garantie légale, ou en l’absence d’information du consommateur sur son droit de rétractation s’élève à 75.000 euros (articles L241-2, L241-13 et 242-10 et du code de la consommation), que l’on pourrait multiplier par des centaines de milliers de contrats chez certains opérateurs. 

  • Conclusion : la vigilance s’impose donc s’agissant des pratiques commerciales sanctionnées par des amendes administratives que l’administration peut prononcer à l’encontre des entreprises, sans recours préalable à un juge. 

 

Par Virginie BERNARD, le 1er juillet 2022